J’entends les mouettes
Aujourd’hui c’était pas mauvais, je ne vais pas faire la tête.
La potée aux carottes, la maigre saucisse et les petits pois,
avec un verre d’eau, car ici c’est pas souvent la fête.
Dans les maisons de retraite à des fins festins on n’a pas droit.
En dehors de ce repas de la mi-journée où tout le monde prend place
Par tables de quatre, dans ce réfectoire d’un coup très animé,
les heures s’égrènent. Une à une. La solitude reprend sa place.
Chacun se retrouve face à lui-même dans sa chambre, mal-aimé.
Des activités, pour combler le vide, sont mises sur pied.
Souvent enfantines, parfois pittoresques. J’ai pas vraiment envie.
Je n’avais jamais eu l’occasion de construire des fleurs en papier.
On fait de tout dans la vie, sauf qu’ici c’est pas vraiment la vie.
Cet après-midi, miracle : mon petit neveu est venu faire coucou.
Il vient me chercher pour aller manger ensemble au restaurant.
C’est vraiment chouette de sa part. Je ne m’y attendais pas du tout.
Au « Bel Accueil » ça s’appelle. Déjà, le nom c’est charmant.
Le garçon s’est avancé : le menu c’est sans les boissons.
Pas une seconde j’ai hésité : pour moi ce sera des moules
avec des frites, de la mayonnaise et une bière pression.
Ça c’est bien sûr, cette fois-ci : douce, je me la coule.
Dès la mise en bouche de cette chair à la couleur inimitable,
je suis transpercé. Mes papilles frétillent. Ce goût familier
me fait remonter le temps : je ne suis plus à table.
Je ne suis plus moi-même, en même temps je me retrouve entier.
Je suis sur la plage, je sens les embruns, je touche la vaguelette,
le soleil brûle sur ma peau, je guide bien haut le cerf-volant.
La glace à la vanille fond dans ma bouche, j’entends les mouettes.
Un air de vacances m’envahit. Je respire. J’aspire. J’expire.
Les résidents du home qui le connaissaient ont de la peine
à le croire. On vient de leur apprendre la triste nouvelle.
Allô, oui ? Vous êtes bien à la résidence « Clos sur la fontaine ».
Oui. Une chambre pour personne seule est libre dans la nouvelle aile.
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