Quand Cézanne peint
De ses lents doigts tachés, il soutient le pinceau.
C'est lui qui dirige le trait, et aussi le plein
À coups de touches de tubes de couleurs pressés haut
qui habillent la palette, quand Cézanne peint.
De ses yeux qu'il plisse pour toujours voir plus net,
sous son front fiché d'un épi de grain,
Il scrute l'horizon, puis revient au chevalet.
De son pouce il mesure l'espace, quand Cézanne peint.
Protégé par sa casquette vissée sur son crâne nu,
il affronte le soleil et hume le romarin.
Les fleurs des champs frétillent de grâce, vraies ingénues.
Elles se parent de beaux atours, quand Cézanne peint.
Mais ce n'est qu'après un stage d'apprivoisement
que le cœur de l'artiste parlera à sa main
pour esquisser des attraits gourmands.
Oui, la tâche est revêche, quand Cézanne peint.
Les cheveux en bataille où nichent maintes feuilles mortes,
assis sur son pliant, avec à terre une croûte de pain,
son esprit absorbé pour l'œuvre qu'il veut forte,
c'est ainsi que l'homme travaille, quand Cézanne peint.
Les bruits de la nature l'inspirent très en mesure.
il se laisse porter par le bruissement des pins,
le tressaillement des oliviers, le silence de la masure:
tout concorde dans sa tête, quand Cézanne peint.
C'est une tâche solitaire qui apporte ses joies.
Pas d'horaires: aujourd'hui il sera là tôt matin,
demain le coucher du soleil sera roi.
L'œil recherche un lieu propice, quand Cézanne peint.
Tout son être est en éveil quand vient l'éclosion.
Chaque couleur a sa place, comme dans un écrin.
Le lieu, l'heure font l'objet d'une grande attention.
Tout doit être réuni, quand Cézanne peint.
C'est un travail complexe de mise en scène totale.
L'artisan s'oublie, saisit le message qui vient
pour se l'approprier, l'habiller et le reproduire égal.
C'est tout le travail accompli, quand Cézanne peint.
Ses sens constamment en éveil, prêts au déclic,
affûtés par les ans, sollicités jamais en vain,
le portent à travers mille chevauchées fantastiques
pour abreuver sa soif d'absolu, quand Cézanne peint.
Cézanne ne peint plus. Il a rangé ses pinceaux
devenus inutiles, obsolètes, pièces de musées.
La machine projette des couleurs, construit du beau.
Décide du point de vue. Ignore le flux des marées.
Renvoie les senteurs des lilas, le chant des oiseaux
au néant. Car les écrans feront autorité.
La nature, la terre, le sol, les arbres, les ruisseaux
seront dans les programmes, mais sans sécurité.
Nous commettons une erreur. Nous avons tout faux.
Demain le dira. Les mains de Cézanne sont une nécessité.
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